Métaphysique du genou entorsé
Pour
Thieng Nguyen
Prologue
L’eau polluée de mille poussières
d’humanité lardée coule lentement sur la patella qui se réveille alors
Et ses mille douleurs avec
- Et son instabilité s’installera dans le
quotidien animé du corps
Chaque jour existe grâce à un grand sac
d’incompréhensions qui se transformeront en mystères pour peu que la carcasse
et l’esprit qui la traverse soient créatifs.
Il n’y a pas à la blessure d’origine
plus incertaine que la grande création dans laquelle chaque corps aimerait se
noyer
La création est cet état de confiance
de l’esprit envers le corps même tracassé, boursouflé, entorsé, agité de
secousses qui rappellent les prémisses de toute existence
Il n’y a pas au corps d’origine plus
splendide que la blessure créatrice
Parce que d’une blessure jaillissent
mille possibilités, fragments de nous-mêmes conscientisés enfin
ET
sur la scène déjà épuisée de mille
corps
tout s’écrase et
tout se jette et tout tombe et tout jaillit et tout se relève et tout progresse
et tout se frotte et tout se brûle et tout se crée maladroitement
--------------------------alors
Il faut que,
S’écrase encore
-----
La peur sous le
poids de nos pieds nus
Sous le poids de nos genoux créatifs
Sur la scène
instable et sous le toisage des regards enfin silencieux
La scène
définitivement imparfaite et perfectible
Le
corps est à porter avec ses mille douleurs
c’est ce qui rend la vie créative
Les os craquent
sous le poids de la scène
Retournée prête
à s’effondrer sur le corps et ses 1000douleurs
Le genou crie,
lance son appel à l’aide – dans un dernier mouvement il retient /
/son souffle ou ce qu’il en reste,
avec sa
spiritualité recharnée, son mouvement ontologique blessé
Il mesure avec
sa surface osseuse circulaire
La taille de la
Terre
Qui craque elle
aussi sous le poids d’une scène cosmique redoutable immense irrépressible
Le genou dans sa
solitude
Qu’il partageait avant avec son amie la
scène
S’écrase encore
contre le tapis de danse autrefois si lisse.
Il se souvient
encore de leur rencontre, si stressée et perturbée, mais magnifique à force de
chutes et de morceaux dispersés d’existence
La scène prête à
accueillir la blessure et sa sensibilité
Elle qui se
souvient de l’enfance du genou, si pur, si imparfait déjà
Le genou et sa
musique corporelle libérée
Le genou marqué
par la scène-vie
La membrane du
genou
Se désagrège
Sous le poids de
L’indicible
-
- -
Maintenant le
genou émotionnel a pris son indépendance et se personnifie, il entame un
monologue dansé sur scène, chancelle et vibre de mille tourments splendides,
critique vertement la décadence du public impassible, qui a trop fait saigner
ses yeux sur quelques réseaux et leur insociabilité prononcée, ce public qui ne
touche plus à ses os, pourtant révélateurs de leurs êtres et, par là, de leurs
vies abîmées parfois foutues, ou qui ne touche plus les os qu’avec des gants de
soie, et non plus avec le sang mêlé à la sueur, la seule qui a réussi à
personnifier l’abstraction de nos corps, le public qui oublie le corps chargé
de ses 1000blessures, et ses ressentis, ses spontanéités
Le corps et ses
craquements le son de la circulation
de son sang
Le genou
décharné et famélique s’enferme alors dans une chambre anéchoïde
Et s’écoute de
longues heures
Puis
Intervient un hyper-pansement
Le danseur
écrit, au stylo, sur le genou :
« que
le corps se jette encore dans sa guérison »
et l’hyper-pansement veut bien le
couvrir, lui qui est si solennel d’habitude
se répand ici avec humilité
IL DEVIENT ALORS
LE
GENOU EXPÉRIMENTAL
ici
ABSTRACT KNEE
maintenant
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