mardi 25 août 2020

Monologue de la page blanche

Monologue de la page blanche

Je veux
Me déchirer
Déchirer
Froisser
Me froisser
Frotter mille sols
Et les plus sordides
Et sous la pluie polluée
Me faire piétiner
En boîte de nuit
Et ne pas me reposer dans la réserve d’une entreprise merdique
Sur l’étagère à côté des trombones
Mais je veux bien
Faire un trip BDSM avec ces mêmes trombones
Que l’on soit attachées avec d’autres copines-pages
Par ces cousins de fer fin
Ou bien encore
Me faire martyriser par une pote agrafeuse
Qui me mord et me larde
De mille agrafes brillantes
Je veux bien
Me faire lécher
Comme mes copines enveloppes
Prêtes à aller pénétrer des boîtes aux lettres
Me faire caresser
Comme ces beaux agendas de directeurs d’entreprises merdiques
Qui se la pètent
Les agendas aussi hein
Alors qu’ils ne se font pas remplir
Ni les têtes des directeurs hein
Parce qu’une secrétaire (ou un secrétaire, j'aime tous les corps et toutes les surfaces) s’en charge
Qui d’ailleurs
Caresse un pote stylo Bic
Et le glisse dans sa bouche pulpeuse
Je veux me glisser lentement dans la bouche d’un(e) secrétaire
Et
Sans prévenir, bien sûr
Lui couper les lèvres d’un coup sec
En rire avec des copains crayons de papier
Qui feront exprès de se casser contre ma surface
Pour emmerder les employés de l’entreprise merdique
Qui caressent et tapent des claviers
Et sur l’ordinateur je vois
Des pages blanches virtuelles
Qui attendent
De sortir
D’être imprimées
Comme on dit
Et moi j’attends
De devenir mille
C’est-à-dire
D’être déchirée jusqu’à la mort
Mais prête à remplir une joyeuse poubelle
De mille morceaux de moi-même accouchés
Pour continuer d’exister sur tous les sols
Avec du jus de poulet
De la salive d’enfant peut-être
Des morceaux d’humains répugnants
Mais touchant alors au sublime
En attendant
Un recyclage qui n’arrivera jamais
Et
Comme vous
Je ne sais pas où j’irai après l’ultime déchirement



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vendredi 14 août 2020

Métaphysique du genou entorsé

Métaphysique du genou entorsé

Pour Thieng Nguyen

Prologue

L’eau polluée de mille poussières d’humanité lardée coule lentement sur la patella qui se réveille alors
Et ses mille douleurs avec
-       Et son instabilité s’installera dans le quotidien animé du corps

Chaque jour existe grâce à un grand sac d’incompréhensions qui se transformeront en mystères pour peu que la carcasse et l’esprit qui la traverse soient créatifs.

Il n’y a pas à la blessure d’origine plus incertaine que la grande création dans laquelle chaque corps aimerait se noyer
La création est cet état de confiance de l’esprit envers le corps même tracassé, boursouflé, entorsé, agité de secousses qui rappellent les prémisses de toute existence

Il n’y a pas au corps d’origine plus splendide que la blessure créatrice
Parce que d’une blessure jaillissent mille possibilités, fragments de nous-mêmes conscientisés enfin

ET

sur la scène déjà épuisée de mille corps

tout s’écrase et tout se jette et tout tombe et tout jaillit et tout se relève et tout progresse et tout se frotte et tout se brûle et tout se crée maladroitement


--------------------------alors

Il faut que,

S’écrase encore -----
La peur sous le poids de nos pieds nus
    Sous le poids de nos genoux créatifs


Sur la scène instable et sous le toisage des regards enfin silencieux
La scène définitivement imparfaite et perfectible

Le corps est à porter avec ses mille douleurs

c’est ce qui rend la vie créative

Les os craquent sous le poids de la scène
Retournée prête à s’effondrer sur le corps et ses 1000douleurs
Le genou crie, lance son appel à l’aide – dans un dernier mouvement il retient /

    /son souffle ou ce qu’il en reste,
avec sa spiritualité recharnée, son mouvement ontologique blessé

Il mesure avec sa surface osseuse circulaire
    La taille de la Terre
Qui craque elle aussi sous le poids d’une scène cosmique redoutable immense irrépressible


Le genou dans sa solitude
    Qu’il partageait avant avec son amie la scène

S’écrase encore contre le tapis de danse autrefois si lisse.
Il se souvient encore de leur rencontre, si stressée et perturbée, mais magnifique à force de chutes et de morceaux dispersés d’existence
La scène prête à accueillir la blessure et sa sensibilité
Elle qui se souvient de l’enfance du genou, si pur, si imparfait déjà


Le genou et sa musique corporelle libérée
Le genou marqué par la scène-vie

La membrane du genou
    Se désagrège
             Sous le poids de
L’indicible

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Maintenant le genou émotionnel a pris son indépendance et se personnifie, il entame un monologue dansé sur scène, chancelle et vibre de mille tourments splendides, critique vertement la décadence du public impassible, qui a trop fait saigner ses yeux sur quelques réseaux et leur insociabilité prononcée, ce public qui ne touche plus à ses os, pourtant révélateurs de leurs êtres et, par là, de leurs vies abîmées parfois foutues, ou qui ne touche plus les os qu’avec des gants de soie, et non plus avec le sang mêlé à la sueur, la seule qui a réussi à personnifier l’abstraction de nos corps, le public qui oublie le corps chargé de ses 1000blessures, et ses ressentis, ses spontanéités

Le corps et ses craquements       le son de la circulation de son sang


Le genou décharné et famélique s’enferme alors dans une chambre anéchoïde
Et s’écoute de longues heures



Puis
Intervient un hyper-pansement
Le danseur écrit, au stylo, sur le genou :
« que le corps se jette encore dans sa guérison »

et l’hyper-pansement veut bien le couvrir, lui qui est si solennel d’habitude
se répand ici avec humilité




 



















IL DEVIENT ALORS LE



GENOU EXPÉRIMENTAL

ici

ABSTRACT KNEE

maintenant